Le cahier de devoirs mensuels — КиберПедия 

Адаптации растений и животных к жизни в горах: Большое значение для жизни организмов в горах имеют степень расчленения, крутизна и экспозиционные различия склонов...

Двойное оплодотворение у цветковых растений: Оплодотворение - это процесс слияния мужской и женской половых клеток с образованием зиготы...

Le cahier de devoirs mensuels

2023-01-01 20
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Dans la maison pleine de tristes souvenirs, oщ des femmes, tout le jour, berзaient et consolaient un tout petit enfant malade, le vieux M. de Galais ne tarda pas а s’aliter. Aux premiers grands froids de l’hiver il s’йteignit paisiblement et je ne pus me tenir de verser des larmes au chevet de ce vieil homme charmant, dont la pensйe indulgente et la fantaisie alliйe а celle de son fils avaient йtй la cause de toute notre aventure. Il mourut, fort heureusement, dans une incomprйhension complиte de tout ce qui s’йtait passй et, d’ailleurs, dans un silence presque absolu. Comme il n’avait plus depuis longtemps ni parents ni amis dans cette rйgion de la France, il m’institua par testament son lйgataire universel jusqu’au retour de Meaulnes, а qui je devais rendre compte de tout, s’il revenait jamais... Et c’est aux Sablonniиres dйsormais que j’habitais. Je n’allais plus а Saint-Benoist que pour y faire la classe, partant le matin de bonne heure, dйjeunant а midi d’un repas prйparй au Domaine, que je faisais chauffer sur le poкle et rentrant le soir aussitфt aprиs l’йtude. Ainsi je pus garder prиs de moi l’enfant que les servantes de la ferme soignaient. Surtout j’augmentais mes chances de rencontrer Augustin, s’il rentrait un jour aux Sablonniиres.

Je ne dйsespйrais pas, d’ailleurs, de dйcouvrir а la longue dans les meubles, dans les tiroirs de la maison, quelque papier, quelque indice qui me permоt de connaоtre l’emploi de son temps, durant le long silence des annйes prйcйdentes – et peut-кtre ainsi de saisir les raisons de sa fuite ou tout au moins de retrouver sa trace... J’avais dйjа vainement inspectй je ne sais combien de placards et d’armoires, ouvert, dans les cabinets de dйbarras, une quantitй d’anciens cartons de toutes formes, qui se trouvaient tantфt remplis de liasses de vieilles lettres et de photographies jaunies de la famille de Galais, tantфt bondйs de fleurs artificielles, de plumes, d’aigrettes et d’oiseaux dйmodйs. Il s’йchappait de ces boоtes je ne sais quelle odeur fanйe, quel parfum йteint, qui, soudain, rйveillaient en moi pour tout un jour les souvenirs, les regrets, et arrкtaient mes recherches...

Un jour de congй, enfin, j’avisai au grenier une vieille petite malle longue et basse, couverte de poils de porc а demi rongйs, et que je reconnus pour кtre la malle d’йcolier d’Augustin. Je me reprochai de n’avoir point commencй par lа mes recherches. J’en fis sauter facilement la serrure rouillйe. La malle йtait pleine jusqu’au bord des cahiers et des livres de Sainte-Agathe. Arithmйtiques, littйratures, cahiers de problиmes, que sais-je?... Avec attendrissement plutфt que par curiositй, je me mis а fouiller dans tout cela, relisant les dictйes que je savais encore par cњur, tant de fois nous les avions recopiйes! «L’Aqueduc» de Rousseau, «Une aventure en Calabre» de P.-L. Courier, «Lettre de George Sand а son fils»...

Il y avait aussi un «Cahier de Devoirs Mensuels». J’en fus surpris, car ces cahiers restaient au Cours et les йlиves ne les emportaient jamais au dehors. C’йtait un cahier vert tout jauni sur les bords. Le nom de l’йlиve, Augustin Meaulnes, йtait йcrit sur la couverture en ronde magnifique. Je l’ouvris. А la date des devoirs, avril 189..., je reconnus que Meaulnes l’avait commencй peu de jours avant de quitter Sainte-Agathe. Les premiиres pages йtaient tenues avec le soin religieux qui йtait de rиgle lorsqu’on travaillait sur ce cahier de compositions. Mais il n’y avait pas plus de trois pages йcrites, le reste йtait blanc et voilа pourquoi Meaulnes l’avait emportй.

Tout en rйflйchissant, agenouillй par terre, а ces coutumes, а ces rиgles puйriles qui avaient tenu tant de place dans notre adolescence, je faisais tourner sous mon pouce le bord des pages du cahier inachevй. Et c’est ainsi que je dйcouvris de l’йcriture sur d’autres feuillets. Aprиs quatre pages laissйes en blanc on avait recommencй а йcrire.

C’йtait encore l’йcriture de Meaulnes, mais rapide, mal formйe, а peine lisible; de petits paragraphes de largeurs inйgales, sйparйs par des lignes blanches. Parfois ce n’йtait qu’une phrase inachevйe. Quelquefois une date. Dиs la premiиre ligne, je jugeai qu’il pouvait y avoir lа des renseignements sur la vie passйe de Meaulnes а Paris, des indices sur la piste que je cherchais, et je descendis dans la salle а manger pour parcourir а loisir, а la lumiиre du jour, l’йtrange document. Il faisait un jour d’hiver clair et agitй. Tantфt le soleil vif dessinait les croix des carreaux sur les rideaux blancs de la fenкtre, tantфt un vent brusque jetait aux vitres une averse glacйe. Et c’est devant cette fenкtre, auprиs du feu, que je lus ces lignes qui m’expliquиrent tant de choses et dont voici la copie trиs exacte...


 

 

XIV

 

Le secret

 

«Je suis passй une fois encore sous la fenкtre. La vitre est toujours poussiйreuse et blanchie par le double rideau qui est derriиre. Yvonne de Galais l’ouvrirait-elle que je n’aurais rien а lui dire puisqu’elle est mariйe... Que faire, maintenant? Comment vivre?...

 

Samedi 13 fйvrier. – J’ai rencontrй, sur le quai, cette jeune fille qui m’avait renseignй au mois de juin, qui attendait comme moi devant la maison fermйe... Je lui ai parlй. Tandis qu’elle marchait, je regardais de cфtй les lйgers dйfauts de son visage: une petite ride au coin des lиvres, un peu d’affaissement aux joues, et de la poudre accumulйe aux ailes du nez. Elle s’est retournйe tout d’un coup et me regardant bien en face, peut-кtre parce qu’elle est plus belle de face que de profil, elle m’a dit d’une voix brиve:

– Vous m’amusez beaucoup. Vous me rappelez un jeune homme qui me faisait la cour, autrefois, а Bourges. Il йtait mкme mon fiancй...

 

Cependant, а la nuit pleine, sur le trottoir dйsert et mouillй qui reflиte la lueur d’un bec de gaz, elle s’est approchйe de moi tout d’un coup, pour me demander de l’emmener ce soir au thйвtre avec sa sњur. Je remarque pour la premiиre fois qu’elle est habillйe de deuil, avec un chapeau de dame trop vieux pour sa jeune figure, un haut parapluie fin, pareil а une canne. Et comme je suis tout prиs d’elle, quand je fais un geste mes ongles griffent le crкpe de son corsage... Je fais des difficultйs pour accorder ce qu’elle demande. Fвchйe, elle veut partir tout de suite. Et c’est moi, maintenant, qui la retiens et la prie. Alors un ouvrier qui passe dans l’obscuritй plaisante а mi-voix:

– N’y va pas, ma petite, il te ferait mal!

Et nous sommes restйs, tous les deux, interdits.

 

Au thйвtre. – Les deux jeunes filles, mon amie qui s’appelle Valentine Blondeau et sa sњur, sont arrivйes avec de pauvres йcharpes.

Valentine est placйe devant moi. А chaque instant elle se retourne, inquiиte, comme se demandant ce que je lui veux. Et moi, je me sens, prиs d’elle, presque heureux; je lui rйponds chaque fois par un sourire.

Tout autour de nous, il y avait des femmes trop dйcolletйes. Et nous plaisantions. Elle souriait d’abord, puis elle a dit: «Il ne faut pas que je rie. Moi aussi je suis trop dйcolletйe.» Et elle s’est enveloppйe dans son йcharpe. En effet, sous le carrй de dentelle noire, on voyait que, dans sa hвte а changer de toilette, elle avait refoulй le haut de sa simple chemise montante.

 

Il y a en elle je ne sais quoi de pauvre et de puйril; il y a dans son regard je ne sais quel air souffrant et hasardeux qui m’attire. Prиs d’elle, le seul кtre au monde qui ait pu me renseigner sur les gens du Domaine, je ne cesse de penser а mon йtrange aventure de jadis... J’ai voulu l’interroger de nouveau sur le petit hфtel du boulevard. Mais, а son tour, elle m’a posй des questions si gкnantes que je n’ai su rien rйpondre. Je sens que dйsormais nous serons, tous les deux, muets sur ce sujet. Et pourtant je sais aussi que je la reverrai. А quoi bon? Et pourquoi?... Suis-je condamnй maintenant а suivre а la trace tout кtre qui portera en soi le plus vague, le plus lointain relent de mon aventure manquйe?...

 

А minuit, seul, dans la rue dйserte, je me demande ce que me veut cette nouvelle et bizarre histoire? Je marche le long des maisons pareilles а des boоtes en carton alignйes dans lesquelles tout un peuple dort. Et je me souviens tout а coup d’une dйcision que j’avais prise l’autre mois: j’avais rйsolu d’aller lа-bas en pleine nuit, vers une heure du matin, de contourner l’hфtel, d’ouvrir la porte du jardin, d’entrer comme un voleur et de chercher un indice quelconque qui me permоt de retrouver le Domaine perdu, pour la revoir, seulement la revoir... Mais je suis fatiguй. J’ai faim. Moi aussi je me suis hвtй de changer de costume, avant le thйвtre, et je n’ai pas dоnй... Agitй, inquiet, pourtant, je reste longtemps assis sur le bord de mon lit, avant de me coucher, en proie а un vague remords. Pourquoi?

 

Je note encore ceci: elles n’ont pas voulu ni que je les reconduise, ni me dire oщ elles demeuraient. Mais je les ai suivies aussi longtemps que j’ai pu. Je sais qu’elles habitent une petite rue qui tourne aux environs de Notre-Dame. Mais а quel numйro?... J’ai devinй qu’elles йtaient couturiиres ou modistes.

En se cachant de sa sњur, Valentine m’a donnй rendez-vous pour jeudi, а quatre heures, devant le mкme thйвtre oщ nous sommes allйs.

– Si je n’йtais pas lа jeudi, a-t-elle dit, revenez vendredi а la mкme heure, puis samedi, et ainsi de suite, tous les jours.

 

Jeudi 18 fйvrier. – Je suis parti pour l’attendre dans le grand vent qui charrie de la pluie. On se disait а chaque instant: il va finir par pleuvoir...

Je marche dans la demi-obscuritй des rues, un poids sur le cњur. Il tombe une goutte d’eau. Je crains qu’il ne pleuve: une averse peut l’empкcher de venir. Mais le vent se reprend а souffler et la pluie ne tombe pas cette fois encore. Lа-haut, dans la grise aprиs-midi du ciel – tantфt grise et tantфt йclatante – un grand nuage a dы cйder au vent. Et je suis ici terrй dans une attente misйrable...

 

Devant le thйвtre. – Au bout d’un quart d’heure je suis certain qu’elle ne viendra pas. Du quai oщ je suis, je surveille au loin, sur le pont par lequel elle aurait dы venir, le dйfilй des gens qui passent. J’accompagne du regard toutes les jeunes femmes en deuil que je vois venir et je me sens presque de la reconnaissance pour celles qui, le plus longtemps, le plus prиs de moi, lui ont ressemblй et m’ont fait espйrer...

 

Une heure d’attente. – Je suis las. А la tombйe de la nuit, un gardien de la paix traоne au poste voisin un voyou qui lui jette d’une voix йtouffйe toutes les injures, toutes les ordures qu’il sait. L’agent est furieux, pвle, muet... Dиs le couloir il commence а cogner, puis il referme sur eux la porte pour battre le misйrable tout а l’aise... Il me vient cette pensйe affreuse que j’ai renoncй au paradis et que je suis en train de piйtiner aux portes de l’enfer.

De guerre lasse, je quitte l’endroit et je gagne cette rue йtroite et basse, entre la Seine et Notre-Dame, oщ je connais а peu prиs la place de leur maison. Tout seul, je vais et viens. De temps а autre une bonne ou une mйnagиre sort sous la petite pluie pour faire avant la nuit ses emplettes... Il n’y a rien, ici, pour moi, et je m’en vais... Je repasse, dans la pluie claire qui retarde la nuit, sur la place oщ nous devions nous attendre. Il y a plus de monde que tout а l’heure – une foule noire...

 

Suppositions – Dйsespoir – Fatigue. Je me raccroche а cette pensйe: demain. Demain, а la mкme heure, en ce mкme endroit, je reviendrai l’attendre. Et j’ai grand-hвte que demain soit arrivй. Avec ennui j’imagine la soirйe d’aujourd’hui, puis la matinйe du lendemain, que je vais passer dans le dйsњuvrement... Mais dйjа cette journйe n’est-elle pas presque finie? Rentrй chez moi, prиs du feu, j’entends crier les journaux du soir. Sans doute, de sa maison perdue quelque part dans la ville, auprиs de Notre-Dame, elle les entend aussi.

Elle... je veux dire: Valentine.

Cette soirйe que j’avais voulu escamoter me pиse йtrangement. Tandis que l’heure avance, que ce jour-lа va bientфt finir et que dйjа je le voudrais fini, il y a des hommes qui lui ont confiй tout leur espoir, tout leur amour et leurs derniиres forces. Il y a des hommes mourants, d’autres qui attendent une йchйance, et qui voudraient que ce ne soit jamais demain. Il y en a d’autres pour qui demain pointera comme un remords. D’autres qui sont fatiguйs, et cette nuit ne sera jamais assez longue pour leur donner tout le repos qu’il faudrait. Et moi, moi qui ai perdu ma journйe, de quel droit est-ce que j’ose appeler demain?

 

Vendredi soir. – J’avais pensй йcrire а la suite: «Je ne l’ai pas revue.» Et tout aurait йtй fini.

Mais en arrivant ce soir, а quatre heures, au coin du thйвtre: la voici. Fine et grave, vкtue de noir, mais avec de la poudre au visage et une collerette qui lui donne l’air d’un pierrot coupable. Un air а la fois douloureux et malicieux.

C’est pour me dire qu’elle veut me quitter tout de suite, qu’elle ne viendra plus.

...........................

 

Et pourtant, а la tombйe de la nuit, nous voici encore tous les deux, marchant lentement l’un prиs de l’autre, sur le gravier des Tuileries. Elle me raconte son histoire mais d’une faзon si enveloppйe que je comprends mal. Elle dit: «mon amant» en parlant de ce fiancй qu’elle n’a pas йpousй. Elle le fait exprиs, je pense, pour me choquer et pour que je ne m’attache point а elle.

Il y a des phrases d’elle que je transcris de mauvaise grвce:

«N’ayez aucune confiance en moi, dit-elle, je n’ai jamais fait que des folies.

«J’ai couru des chemins, toute seule.

«J’ai dйsespйrй mon fiancй. Je l’ai abandonnй parce qu’il m’admirait trop; il ne me voyait qu’en imagination et non telle que j’йtais. Or, je suis pleine de dйfauts. Nous aurions йtй trиs malheureux.»

А chaque instant, je la surprends en train de se faire plus mauvaise qu’elle n’est. Je pense qu’elle veut se prouver а elle-mкme qu’elle a eu raison jadis de faire la sottise dont elle parle, qu’elle n’a rien а regretter et n’йtait pas digne du bonheur qui s’offrait а elle.

 

Une autre fois:

– Ce qui me plaоt en vous, m’a-t-elle dit en me regardant longuement, ce qui me plaоt en vous, je ne puis savoir pourquoi, ce sont mes souvenirs...

 

Une autre fois:

– Je l’aime encore, disait-elle, plus que vous ne pensez.

Et puis soudain, brusquement, brutalement, tristement:

– Enfin, qu’est-ce que vous voulez? Est-ce que vous m’aimez, vous aussi? Vous aussi, vous allez me demander ma main?...

J’ai balbutiй. Je ne sais pas ce que j’ai rйpondu. Peut-кtre ai-je dit: «oui».

 

Cette espиce de journal s’interrompait lа. Commenзaient alors des brouillons de lettres illisibles, informes, raturйs. Prйcaires fianзailles!... La jeune fille, sur la priиre de Meaulnes, avait abandonnй son mйtier. Lui s’йtait occupй des prйparatifs du mariage. Mais sans cesse repris par le dйsir de chercher encore, de partir encore sur la trace de son amour perdu, il avait dы, sans doute, plusieurs fois disparaоtre; et, dans ces lettres, avec un embarras tragique, il cherchait а se justifier devant Valentine.


 

 

XV

 

Le secret (suite)

 

Puis le journal reprenait.

Il avait notй des souvenirs sur un sйjour qu’ils avaient fait tous les deux а la campagne, je ne sais oщ. Mais, chose йtrange, а partir de cet instant, peut-кtre par un sentiment de pudeur secrиte, le journal йtait rйdigй de faзon si hachйe, si informe, griffonnй si hвtivement aussi, que j’ai dы reprendre moi-mкme et reconstituer toute cette partie de son histoire.

 

14 juin. – Lorsqu’il s’йveilla de grand matin dans la chambre de l’auberge, le soleil avait allumй les dessins rouges du rideau noir. Des ouvriers agricoles, dans la salle du bas, parlaient fort en prenant le cafй du matin: ils s’indignaient, en phrases rudes et paisibles, contre un de leurs patrons. Depuis longtemps sans doute Meaulnes entendait, dans son sommeil, ce calme bruit. Car il n’y prit point garde d’abord. Ce rideau semй de grappes rougies par le soleil, ces voix matinales montant dans la chambre silencieuse, tout cela se confondait dans l’impression unique d’un rйveil а la campagne, au dйbut de dйlicieuses grandes vacances.

Il se leva, frappa doucement а la porte voisine, sans obtenir de rйponse, et l’entrouvrit sans bruit. Il aperзut alors Valentine et comprit d’oщ lui venait tant de paisible bonheur. Elle dormait, absolument immobile et silencieuse, sans qu’on l’entendоt respirer, comme un oiseau doit dormir. Longtemps il regarda ce visage d’enfant aux yeux fermйs, ce visage si quiet qu’on eыt souhaitй ne l’йveiller et ne le troubler jamais.

Elle ne fit pas d’autre mouvement pour montrer qu’elle ne dormait plus que d’ouvrir les yeux et de regarder.

 

Dиs qu’elle fut habillйe, Meaulnes revint prиs de la jeune fille.

– Nous sommes en retard, dit-elle.

Et ce fut aussitфt comme une mйnagиre dans sa demeure.

Elle mit de l’ordre dans les chambres, brossa les habits que Meaulnes avait portйs la veille et quand elle en vint au pantalon se dйsola. Le bas des jambes йtait couvert d’une boue йpaisse. Elle hйsita, puis, soigneusement, avec prйcaution, avant de le brosser, elle commenзa par rвper la premiиre йpaisseur de terre avec un couteau.

– C’est ainsi, dit Meaulnes, que faisaient les gamins de Sainte-Agathe quand ils s’йtaient flanquйs dans la boue.

– Moi, c’est ma mиre qui m’a enseignй cela, dit Valentine.

... Et telle йtait bien la compagne que devait souhaiter, avant son aventure mystйrieuse, le chasseur et le paysan qu’йtait le grand Meaulnes.

 

15 juin. – А ce dоner, а la ferme, oщ grвce а leurs amis qui les avaient prйsentйs comme mari et femme, ils furent conviйs, а leur grand ennui, elle se montra timide comme une nouvelle mariйe.

On avait allumй les bougies de deux candйlabres, chaque bout de la table couverte de toile blanche, comme а une paisible noce de campagne. Les visages, dиs qu’ils se penchaient, sous cette faible clartй, baignaient dans l’ombre.

Il y avait а la droite de Patrice (le fils du fermier) Valentine puis Meaulnes, qui demeura taciturne jusqu’au bout, bien qu’on s’adressвt presque toujours а lui. Depuis qu’il avait rйsolu, dans ce village perdu, afin d’йviter les commentaires, de faire passer Valentine pour sa femme, un mкme regret, un mкme remords le dйsolaient. Et tandis que Patrice, а la faзon d’un gentilhomme campagnard, dirigeait le dоner:

«C’est moi, pensait Meaulnes, qui devrais, ce soir, dans une salle basse comme celle-ci, une belle salle que je connais bien, prйsider le repas de mes noces.»

Prиs de lui, Valentine refusait timidement tout ce qu’on lui offrait. On eыt dit une jeune paysanne. А chaque tentative nouvelle, elle regardait son ami et semblait vouloir se rйfugier contre lui. Depuis longtemps, Patrice insistait vainement pour qu’elle vidвt son verre, lorsque enfin Meaulnes se pencha vers elle et lui dit doucement:

– Il faut boire, ma petite Valentine.

Alors, docilement, elle but. Et Patrice fйlicita en souriant le jeune homme d’avoir une femme aussi obйissante.

Mais tous les deux, Valentine et Meaulnes, restaient silencieux et pensifs. Ils йtaient fatiguйs, d’abord; leurs pieds trempйs par la boue de la promenade йtaient glacйs sur les carreaux lavйs de la cuisine. Et puis, de temps а autre, le jeune homme йtait obligй de dire:

– Ma femme, Valentine, ma femme...

Et chaque fois, en prononзant sourdement ce mot, devant ces paysans inconnus, dans cette salle obscure, il avait l’impression de commettre une faute.

 

17 juin. – L’aprиs-midi de ce dernier jour commenзa mal.

Patrice et sa femme les accompagnиrent а la promenade. Peu а peu, sur la pente inйgale couverte de bruyиre, les deux couples se trouvиrent sйparйs. Meaulnes et Valentine s’assirent entre les genйvriers, dans un petit taillis.

Le vent portait des gouttes de pluie et le temps йtait bas. La soirйe avait un goыt amer, semblait-il, le goыt d’un tel ennui que l’amour mкme ne le pouvait distraire.

Longtemps ils restиrent lа, dans leur cachette, abritйs sous les branches, parlant peu. Puis le temps se leva. Il fit beau. Ils crurent que, maintenant, tout irait bien.

Et ils commencиrent а parler d’amour, Valentine parlait, parlait...

– Voici, disait-elle, ce que me promettait mon fiancй, comme un enfant qu’il йtait: tout de suite nous aurions eu une maison, comme une chaumiиre perdue dans la campagne. Elle йtait toute prкte, disait-il. Nous y serions arrivйs comme au retour d’un grand voyage, le soir de notre mariage, vers cette heure-ci qui est proche de la nuit. Et par les chemins, dans la cour, cachйs dans les bosquets, des enfants inconnus nous auraient fait fкte, criant: «Vive la mariйe!»... Quelles folies, n’est-ce pas?

Meaulnes, interdit, soucieux, l’йcoutait. Il retrouvait, dans tout cela, comme l’йcho d’une voix dйjа entendue. Et il y avait aussi, dans le ton de la jeune fille, lorsqu’elle contait cette histoire, un vague regret.

Mais elle eut peur de l’avoir blessй. Elle se retourna vers lui, avec йlan, avec douceur.

– А vous, dit-elle, je veux donner tout ce que j’ai: quelque chose qui ait йtй pour moi plus prйcieux que tout... et vous le brыlerez!

Alors, en le regardant fixement, d’un air anxieux, elle sortit de sa poche un petit paquet de lettres qu’elle lui tendit, les lettres de son fiancй.

Ah! tout de suite, il reconnut la fine йcriture. Comment n’y avait-il jamais pensй plus tфt! C’йtait l’йcriture de Frantz le bohйmien, qu’il avait vue jadis sur le billet dйsespйrй laissй dans la chambre du Domaine...

Ils marchaient maintenant sur une petite route йtroite entre les pвquerettes et les foins йclairйs obliquement par le soleil de cinq heures. Si grande йtait sa stupeur que Meaulnes ne comprenait pas encore quelle dйroute pour lui tout cela signifiait. Il lisait parce qu’elle lui avait demandй de lire. Des phrases enfantines, sentimentales, pathйtiques... Celle-ci, dans la derniиre lettre:

«... Ah! vous avez perdu le petit cњur, impardonnable petite Valentine. Que va-t-il nous arriver? Enfin je ne suis pas superstitieux...»

Meaulnes lisait, а demi aveuglй de regret et de colиre, le visage immobile, mais tout pвle, avec des frйmissements sous les yeux. Valentine, inquiиte de le voir ainsi, regarda oщ il en йtait, et ce qui le fвchait ainsi.

– C’est, expliqua-t-elle trиs vite, un bijou qu’il m’avait donnй en me faisant jurer de le garder toujours. C’йtaient lа de ses idйes folles.

Mais elle ne fit qu’exaspйrer Meaulnes.

– Folles! dit-il en mettant les lettres dans sa poche. Pourquoi rйpйter ce mot? Pourquoi n’avoir jamais voulu croire en lui? Je l’ai connu, c’йtait le garзon le plus merveilleux du monde!

– Vous l’avez connu, dit-elle au comble de l’йmoi, vous avez connu Frantz de Galais?

– C’йtait mon ami le meilleur, c’йtait mon frиre d’aventures, et voilа que je lui ai pris sa fiancйe!

» Ah! poursuivit-il avec fureur, quel mal vous nous avez fait, vous qui n’avez voulu croire а rien. Vous кtes cause de tout. C’est vous qui avez tout perdu! tout perdu!

Elle voulut lui parler, lui prendre la main, mais il la repoussa brutalement.

– Allez-vous-en. Laissez-moi.

– Eh bien, s’il en est ainsi, dit-elle, le visage en feu, bйgayant et pleurant а demi, je partirai en effet. Je rentrerai а Bourges, chez nous, avec ma sњur. Et si vous ne revenez pas me chercher, vous savez, n’est-ce pas? que mon pиre est trop pauvre pour me garder; eh bien! je repartirai pour Paris, je battrai les chemins comme je l’ai dйjа fait une fois, je deviendrai certainement une fille perdue, moi qui n’ai plus de mйtier...

Et elle s’en alla chercher ses paquets pour prendre le train, tandis que Meaulnes, sans mкme la regarder partir, continuait а marcher au hasard.

 

Le journal s’interrompait de nouveau.

Suivaient encore des brouillons de lettres, lettres d’un homme indйcis, йgarй. Rentrй а La Fertй-d’Angillon, Meaulnes йcrivait а Valentine en apparence pour lui affirmer sa rйsolution de ne jamais la revoir et lui en donner des raisons prйcises, mais en rйalitй, peut-кtre, pour qu’elle lui rйpondоt. Dans une de ces lettres, il lui demandait ce que, dans son dйsarroi, il n’avait pas mкme songй d’abord а lui demander: savait-elle oщ se trouvait le Domaine tant cherchй? Dans une autre, il la suppliait de se rйconcilier avec Frantz de Galais. Lui-mкme se chargeait de le retrouver... Toutes les lettres dont je voyais les brouillons, n’avaient pas dы кtre envoyйes. Mais il avait dы йcrire deux ou trois fois, sans jamais obtenir de rйponse. З’avait йtй pour lui une pйriode de combats affreux et misйrables, dans un isolement absolu. L’espoir de revoir jamais Yvonne de Galais s’йtant complиtement йvanoui, il avait dы peu а peu sentir sa grande rйsolution faiblir. Et d’aprиs les pages qui vont suivre – les derniиres de son journal – j’imagine qu’il dut, un beau matin du dйbut des vacances, louer une bicyclette pour aller а Bourges, visiter la cathйdrale.

Il йtait parti а la premiиre heure, par la belle route droite entre les bois, inventant en chemin mille prйtextes а se prйsenter dignement, sans demander une rйconciliation, devant celle qu’il avait chassйe.

Les quatre derniиres pages, que j’ai pu reconstituer, racontaient ce voyage et cette derniиre faute...


 

 

XVI

 

Le secret (fin)

 

25 aoыt. – De l’autre cфtй de Bourges, а l’extrйmitй des nouveaux faubourgs, il dйcouvrit, aprиs avoir longtemps cherchй, la maison de Valentine Blondeau. Une femme – la mиre de Valentine – sur le pas de la porte, semblait l’attendre. C’йtait une bonne figure de mйnagиre, lourde, fripйe, mais belle encore. Elle le regardait venir avec curiositй, et lorsqu’il lui demanda: «si Mlles Blondeau йtaient ici», elle lui expliqua doucement, avec bienveillance, qu’elles йtaient rentrйes а Paris depuis le 15 aoыt.

«Elles m’ont dйfendu de dire oщ elles allaient, ajouta-t-elle, mais en йcrivant а leur ancienne adresse on fera suivre leurs lettres.»

En revenant sur ses pas, sa bicyclette а la main, а travers le jardinet, il pensait:

– Elle est partie... Tout est fini comme je l’ai voulu... C’est moi qui l’ai forcйe а cela. «Je deviendrai certainement une fille perdue», disait-elle. Et c’est moi qui l’ai jetйe lа! C’est moi qui ai perdu la fiancйe de Frantz!

Et tout bas il se rйpйtait avec folie: «Tant mieux! Tant mieux!» avec la certitude que c’йtait bien «tant pis» au contraire et que, sous les yeux de cette femme, avant d’arriver а la grille il allait buter des deux pieds et tomber sur les genoux.

 

Il ne pensa pas а dйjeuner et s’arrкta dans un cafй oщ il йcrivit longuement а Valentine, rien que pour crier, pour se dйlivrer du cri dйsespйrй qui l’йtouffait. Sa lettre rйpйtait indйfiniment: «Vous avez pu! Vous avez pu!... Vous avez pu vous rйsigner а cela! Vous avez pu vous perdre ainsi!»

Prиs de lui des officiers buvaient. L’un d’eux racontait bruyamment une histoire de femme qu’on entendait par bribes: «... Je lui ai dit... vous devez bien me connaоtre... Je fais la partie avec votre mari tous les soirs!» Les autres riaient et, dйtournant la tкte, crachaient derriиre les banquettes. Hвve et poussiйreux, Meaulnes les regardait comme un mendiant. Il les imagina tenant Valentine sur leurs genoux.

 

Longtemps, а bicyclette, il erra autour de la cathйdrale, se disant obscurйment: «En somme, c’est pour la cathйdrale que j’йtais venu.» Au bout de toutes les rues, sur la place dйserte, on la voyait monter йnorme et indiffйrente. Ces rues йtaient йtroites et souillйes comme les ruelles qui entourent les йglises de village. Il y avait за et lа l’enseigne d’une maison louche, une lanterne rouge... Meaulnes sentait sa douleur perdue, dans ce quartier malpropre, vicieux, rйfugiй, comme aux anciens вges, sous les arcs-boutants de la cathйdrale. Il lui venait une crainte de paysan, une rйpulsion pour cette йglise de la ville, oщ tous les vices sont sculptйs dans des cachettes, qui est bвtie entre les mauvais lieux et qui n’a pas de remиde pour les plus pures douleurs d’amour.

Deux filles vinrent а passer, se tenant par la taille et le regardant effrontйment. Par dйgoыt ou par jeu, pour se venger de son amour ou pour l’abоmer, Meaulnes les suivit lentement а bicyclette et l’une d’elles, une misйrable fille dont les rares cheveux blonds йtaient tirйs en arriиre par un faux chignon, lui donna rendez-vous pour six heures au Jardin de l’Archevкchй, le jardin oщ Frantz, dans une de ses lettres, donnait rendez-vous а la pauvre Valentine.

Il ne dit pas non, sachant qu’а cette heure il aurait depuis longtemps quittй la ville. Et de sa fenкtre basse, dans la rue en pente, elle resta longtemps а lui faire des signes vagues.

 

Il avait hвte de reprendre son chemin.

Avant de partir, il ne put rйsister au morne dйsir de passer une derniиre fois devant la maison de Valentine. Il regarda de tous ses yeux et put faire provision de tristesse. C’йtait une des derniиres maisons du faubourg et la rue devenait une route а partir de cet endroit... En face, une sorte de terrain vague formait comme une petite place. Il n’y avait personne aux fenкtres, ni dans la cour, nulle part. Seule, le long d’un mur, traоnant deux gamins en guenilles, une sale fille poudrйe passa.

C’est lа que l’enfance de Valentine s’йtait йcoulйe, lа qu’elle avait commencй а regarder le monde de ses yeux confiants et sages. Elle avait travaillй, cousu, derriиre ces fenкtres. Et Frantz йtait passй pour la voir, lui sourire, dans cette rue de faubourg. Mais maintenant il n’y avait plus rien, rien... La triste soirйe durait et Meaulnes savait seulement que quelque part, perdue, durant ce mкme aprиs-midi, Valentine regardait passer dans son souvenir cette place morne oщ jamais elle ne viendrait plus.

 

Le long voyage qu’il lui restait а faire pour rentrer devait кtre son dernier recours contre sa peine, sa derniиre distraction forcйe avant de s’y enfoncer tout entier.

Il partit. Aux environs de la route, dans la vallйe, de dйlicieuses maisons fermiиres, entre les arbres, au bord de l’eau, montraient leurs pignons pointus garnis de treillis verts. Sans doute, lа-bas, sur les pelouses, des jeunes filles attentives parlaient de l’amour. On imaginait, lа-bas, des вmes, de belles вmes...

Mais, pour Meaulnes, а ce moment, il n’existait plus qu’un seul amour, cet amour mal satisfait qu’on venait de souffleter si cruellement, et la jeune fille entre toutes qu’il eыt dы protйger, sauvegarder, йtait justement celle-lа qu’il venait d’envoyer а sa perte.

 

Quelques lignes hвtives du journal m’apprenaient encore qu’il avait formй le projet de retrouver Valentine coыte que coыte avant qu’il fыt trop tard. Une date, dans un coin de page, me faisait croire que c’йtait lа ce long voyage pour lequel Mme Meaulnes faisait des prйparatifs, lorsque j’йtais venu а La Fertй-d’Angillon pour tout dйranger. Dans la mairie abandonnйe, Meaulnes notait ses souvenirs et ses projets par un beau matin de la fin du mois d’aoыt – lorsque j’avais poussй la porte et lui avais apportй la grande nouvelle qu’il n’attendait plus. Il avait йtй repris, immobilisй, par son ancienne aventure, sans oser rien faire ni rien avouer. Alors avaient commencй le remords, le regret et la peine, tantфt йtouffйs, tantфt triomphants, jusqu’au jour des noces oщ le cri du bohйmien dans les sapins lui avait thйвtralement rappelй son premier serment de jeune homme.

 

Sur ce mкme cahier de devoirs mensuels, il avait encore griffonnй quelques mots en hвte, а l’aube, avant de quitter, avec sa permission, – mais pour toujours – Yvonne de Galais, son йpouse depuis la veille:

«Je pars. Il faudra bien que je retrouve la piste des deux bohйmiens qui sont venus hier dans la sapiniиre et qui sont partis vers l’Est а bicyclette. Je ne reviendrai prиs d’Yvonne que si je puis ramener avec moi et installer dans la «maison de Frantz» Frantz et Valentine mariйs.

 

» Ce manuscrit, que j’avais commencй comme un journal secret et qui est devenu ma confession, sera, si je ne reviens pas, la propriйtй de mon ami Franзois Seurel.»

 

Il avait dы glisser le cahier en hвte sous les autres, refermer а clef son ancienne petite malle d’йtudiant, et disparaоtre.


 

 

Йpilogue

 

Le temps passa. Je perdais l’espoir de revoir jamais mon compagnon, et de mornes jours s’йcoulaient dans l’йcole paysanne, de tristes jours dans la maison dйserte. Frantz ne vint pas au rendez-vous que je lui avais fixй, et d’ailleurs ma tante Moinel ne savait plus depuis longtemps oщ habitait Valentine.

La seule joie des Sablonniиres, ce fut bientфt la petite fille qu’on avait pu sauver. А la fin de septembre, elle s’annonзait mкme comme une solide et jolie petite fille. Elle allait avoir un an. Cramponnйe aux barreaux des chaises, elle les poussait toute seule, s’essayant а marcher sans prendre garde aux chutes, et faisait un tintamarre qui rйveillait longuement les йchos sourds de la demeure abandonnйe. Lorsque je la tenais dans mes bras, elle ne souffrait jamais que je lui donne un baiser. Elle avait une faзon sauvage et charmante en mкme temps de frйtiller et de me repousser la figure avec sa petite main ouverte, en riant aux йclats. De toute sa gaietй, de toute sa violence enfantine, on eыt dit qu’elle allait chasser le chagrin qui pesait sur la maison depuis sa naissance. Je me disais parfois: «Sans doute, malgrй cette sauvagerie, sera-t-elle un peu mon enfant.» Mais une fois encore la Providence en dйcida autrement.

 

Un dimanche matin de la fin de septembre, je m’йtais levй de fort bonne heure, avant mкme la paysanne qui avait la garde de la petite fille. Je devais aller pкcher au Cher avec deux hommes de Saint-Benoist et Jasmin Delouche. Souvent ainsi les villageois d’alentour s’entendaient avec moi pour de grandes parties de braconnage: pкches а la main, la nuit, pкches aux йperviers prohibйs... Tout le temps de l’йtй, nous partions les jours de congй, dиs l’aube, et nous ne rentrions qu’а midi. C’йtait le gagne-pain de presque tous ces hommes. Quant а moi, c’йtait mon seul passe-temps, les seules aventures qui me rappelassent les йquipйes de jadis. Et j’avais fini par prendre goыt а ces randonnйes, а ces longues pкches le long de la riviиre ou dans les roseaux de l’йtang.

Ce matin-lа, j’йtais donc debout, а cinq heures et demie, devant la maison, sous un petit hangar adossй au mur qui sйparait le jardin anglais des Sablonniиres du jardin potager de la ferme. J’йtais occupй а dйmкler mes filets que j’avais jetйs en tas, le jeudi d’avant.

Il ne faisait pas jour tout а fait; c’йtait le crйpuscule d’un beau matin de septembre; et le hangar oщ je dйmкlais а la hвte mes engins se trouvait а demi plongй dans la nuit.

J’йtais lа silencieux et affairй lorsque soudain j’entendis la grille s’ouvrir, un pas crier sur le gravier.

– Oh! oh! me dis-je, voici mes gens plus tфt que je n’aurais cru. Et moi qui ne suis pas prкt!...

Mais l’homme qui entrait dans la cour m’йtait inconnu. C’йtait, autant que je pus distinguer, un grand gaillard barbu habillй comme un chasseur ou un braconnier. Au lieu de venir me trouver lа oщ les autres savaient que j’йtais toujours, а l’heure de nos rendez-vous, il gagna directement la porte d’entrйe.

– Bon! pensai-je; c’est quelqu’un de leurs amis qu’ils auront conviй sans me le dire et ils l’auront envoyй en йclaireur.

L’homme fit jouer doucement, sans bruit, le loquet de la porte. Mais je l’avais refermйe, aussitфt sorti. Il fit de mкme а l’entrйe de la cuisine. Puis, hйsitant un instant, il tourna vers moi, йclairйe par le demi-jour, sa figure inquiиte. Et c’est alors seulement que je reconnus le grand Meaulnes.

Un long moment je restai lа, effrayй, dйsespйrй, repris soudain par toute la douleur qu’avait rйveillйe son retour. Il avait disparu derriиre la maison, en avait fait le tour, et il revenait, hйsitant.

Alors je m’avanзai vers lui et, sans rien dire, je l’embrassai en sanglotant. Tout de suite, il comprit.

– Ah! dit-il d’une voix brиve, elle est morte, n’est-ce pas?

Et il resta lа, debout, sourd, immobile et terrible. Je le pris par le bras et doucement je l’entraоnai vers la maison. Il faisait jour maintenant. Tout de suite, pour que le plus dur fыt accompli, je lui fis monter l’escalier qui menait vers la chambre de la morte. Sitфt entrй, il tomba а deux genoux devant le lit et, longtemps, resta la tкte enfouie dans ses deux bras.

Il se releva enfin, les yeux йgarйs, titubant, ne sachant oщ il йtait. Et, toujours le guidant par le bras, j’ouvris la porte qui faisait communiquer cette chambre avec celle de la petite fille. Elle s’йtait йveillйe tout seule – pendant que sa nourrice йtait en bas – et, dйlibйrйment, s’йtait assise dans son berceau. On voyait tout juste sa tкte йtonnйe, tournйe vers nous.

– Voici ta fille, dis-je.

Il eut un sursaut et me regarda.

Puis il la saisit et l’enleva dans ses bras. Il ne put pas bien la voir d’abord, parce qu’il pleurait. Alors, pour dйtourner un peu ce grand attendrissement et ce flot de larmes, tout en la tenant trиs serrйe contre lui, assise sur son bras droit, il tourna vers moi sa tкte baissйe et me dit:

– Je les ai ramenйs, les deux autres... Tu iras les voir dans leur maison.

 

Et en effet, au dйbut de la matinйe, lorsque je m’en allai, tout pensif et presque heureux vers la maison de Frantz qu’Yvonne de Galais m’avait jadis montrйe dйserte, j’aperзus de loin une maniиre de jeune mйnagиre en collerette, qui balayait le pas de sa porte, objet de curiositй et d’enthousiasme pour plusieurs petits vachers endimanchйs qui s’en allaient а la messe...

 

Cependant la petite fille commenзait а s’ennuyer d’кtre serrйe ainsi, et comme Augustin, la tкte penchйe de cфtй pour cacher et arrкter ses larmes, continuait а ne pas la regarder, elle lui flanqua une grande tape de sa petite main sur sa bouche barbue et mouillйe.

Cette fois le pиre leva bien haut sa fille, la fit sauter au bout de ses bras et la regarda avec une espиce de rire. Satisfaite, elle battit des mains...

Je m’йtais lйgиrement reculй pour mieux les voir. Un peu dйзu et pourtant йmerveillй, je comprenais que la petite fille avait enfin trouvй lа le compagnon qu’elle attendait obscurйment... La seule joie que m’eыt laissйe le grand Meaulnes, je sentais bien qu’il йtait revenu pour me la prendre. Et dйjа je l’imaginais, la nuit, enveloppant sa fille dans un manteau, et partant avec elle pour de nouvelles aventures.


 

 


 

Cet ouvrage est le 22e publiй

dans la collection Classiques du 20e siиcle

par la Bibliothиque йlectronique du Quйbec.

 

 


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